J’ai toujours considéré le défilé de mode comme un événement magique recelant un pouvoir enchanteur. Un acte liturgique qui interrompt l’ordinaire en le surchargeant d’intensité. Une procession de révélations soudaines et de pensées élargies qui prennent leurs quartiers dans une autre division du monde sensible.
Ma pensée prend forme et se révèle au public dans une célébration qui se nourrit d’attentes. Elle mélange des obsessions et des moteurs anti-gravité. Elle s’attarde un moment sur l’improbabilité. Elle caresse cette nostalgie de l’humain que certains nomment imperfection. Elle coud, avec la précision de l’amour, les plus infimes détails de la scène pour les offrir à une communauté d’interprètes.
Ce rituel toujours unique contient le ravissement d’un cadeau. La promesse d’une précieuse délivrance. La salle est plongée dans le noir. La congrégation attend dans un silence total, les mains ouvertes pour recevoir mes battements de cœur irréguliers et mes frissons.
J’offre ma poésie à cette tribu de spectateurs libérés. Puissent-ils s’en émerveiller. Puissent-ils m’aider à la comprendre. Ils peuvent s’en servir pour réveiller des questions en sommeil. Ou simplement la rejeter s’ils ne parviennent pas à ouvrir une porte de compassion. Ils peuvent traduire ou trahir. Le cadeau est une matière vivante, un rébus dont personne ne peut s’approprier le sens.
Aujourd’hui même, nous allons vivre ce rituel que je considère comme sacré. Une parade de pas dessinera l’espace comme le font les sons des cloches dans un temple. De mystérieuses coutures prêteront solennellement serment à la lumière. Une partition de notes amplifiera les prophéties imprimées sur les corps en mouvement.
Dans cette cérémonie, une chose reste toutefois généralement cachée : l’épreuve de la parturiente qui accompagne le tremblement de la création, le ventre de la mère où la poésie s’épanouit d’une forme à l’autre. J’ai donc décidé de dévoiler ce qui se trouve derrière le rideau. Que le miracle des mains expertes et du souffle retenu sorte de l’ombre. Que l’intelligence collective qui assure la gestation soit visible lorsque les frissons se déchaînent. Que cette ruche sauvage et folle dont j’ai fait ma maison puisse avoir un trône.
Car telle est la maison que je vénère : elle est le passage béni à travers lequel la beauté sort de sa coquille.