Nous vivons à une époque de violents fracas, d’images vociférantes et de mots qui se suivent sans s’installer. Ce tumulte retentissant finit par saturer notre regard, engendrant une véritable crise de la perception. Il en découle la nécessité d’une politique de l’attention, d’une éthique du regard et de la présence, capable de s’arrêter sur l’infiniment petit, sur des gestes apparemment insignifiants, sur ces routines quotidiennes qui nous mettent en contact avec la trame de la vie.
Réussir à réenchanter le quotidien, essayer de l’habiter poétiquement n’est pas simple. Il est nécessaire d’y introduire une anomalie, d’interrompre le cours de nos actions. Il convient de ralentir jusqu’à l’arrêt. C’est pour cela que j’ai imaginé un point de vue statique, capable de sonder la densité poétique de ce qui gît au coeur de l’ordinaire. Une caméra fixe, braquée sur la vie telle qu’elle passe. Une porte qui s’ouvre, une rue, un bar ; des gestes anciens et délicats, au fil de matins qui ne se ressemblent qu’en apparence.
Mon propos est une invitation à dépasser l’anesthésie du regard, en s’arrêtant dans les plis silencieux des jours, en accueillant avec douceur la magie de ce qui existe, en choisissant de rester en contact avec ce qui est vivant. Le quotidien n’est pas un décor qui ne s’animerait que lorsque surviennent des événements extraordinaires. Il est plutôt l’architecture secrète qui soutient notre présence au monde : une charpente faite de lueurs et d’heureuses épiphanies, serties dans l’infime et le rien de notre vie ordinaire.
