Les Rendez-vous littéraires rue Cambon poursuivent leur exploration des littératures féminines en invitant l’écrivaine franco-camerounaise Léonora Miano. Cette rencontre avec l’ambassadrice et porte-parole de CHANEL Charlotte Casiraghi et la comédienne Anna Mouglalis est animée par l’historienne de la littérature Fanny Arama.
Dans la bibliothèque de Karl Lagerfeld attenante à la librairie 7L, un symbole de l’attachement de la Maison CHANEL aux livres, Charlotte Casiraghi présente le parcours singulier de l’écrivaine, de son enfance à Douala aux prix littéraires les plus prestigieux qui lui ont été décernés, le Goncourt des lycéens en 2006 pour Contours du jour qui vient, le Femina pour La Saison de l’ombre en 2013. Une œuvre extrêmement riche qui dissèque « avec une grande finesse les rapports entre l’Afrique et l’Europe, les crispations identitaires, mais aussi les rapports entre les sexes et les générations ». Anna Mouglalis lit trois extraits de Stardust, dernier ouvrage publié aux Éditions Grasset, dont la genèse est expliquée par Léonora Miano elle-même. Ce roman autobiographique a été écrit il y a 25 ans, mais ce n’est qu’en 2022 que le public français le découvre. Il raconte le passage de Louise et Bliss, sa fille d’un an, dans un centre d’hébergement d’urgence à Paris dans les années 1990. Si l’écrivaine se refusait à donner ce texte à lire avant d’avoir gagné ses galons d’auteur, c’est parce qu’elle ne voulait pas que son écriture soit enfermée dans la précarité et la souffrance. Elle ajoute qu’avec le recul, elle est fière de la jeune femme qu’elle était et de son refus d’être vaincue. Pour Anna Mouglalis, la puissance littéraire de ce livre tient à sa vérité. Il montre de manière documentaire ce qui est d’ordinaire invisibilisé. Elle ajoute s’être parfois sentie orpheline des voix d’hier.
Depuis la naissance de sa propre fille, elle ne lit plus que des livres de femmes. Il reste des océans de chefs-d’œuvre à découvrir, à commencer par ceux de Léonora Miano. Charlotte Casiraghi cite un passage de Stardust, ce qu’elle nomme une vision émancipatrice de la maternité : « Bliss enfante Louise, l’oblige à se tenir debout. » Léonora Miano explique comment sa fille l’a poussée à se dépasser et à connaître sa force : « L’enfant ne réclame aucun sacrifice. Seulement la présence. La joie. La douceur. L’épanouissement. » Léonora Miano revient sur le rôle que peut jouer la littérature dans une vie. On trouve dans les romans des conversations qu’on ne peut pas avoir avec ses proches, des personnages qui nous renseignent et nous transforment. Elle évoque Toni Morrison et la manière dont elle a proposé d’autres modèles féminins. Léonora Miano note qu’en Europe, la féminité s’exprime à travers une forme de renoncement à la puissance physique, ce qui n’est pas le cas en Afrique subsaharienne. Les sociétés de femmes y étaient et restent nombreuses. Une autorité politique qui n’a pas été comprise par les colons européens et qui a été étouffée. Mais aujourd’hui encore, l’Afrique propose d’autres manières d’« être femme » ; il n’y a d’ailleurs pas un, mais des genres féminins. Quant à l’usage du terme « féminisme », Léonora Miano déplore qu’il ait été dévoyé, qu’il puisse vouloir dire tout et son contraire si tant est qu’il soit porté par une femme. Le succès de ce mot qui s’est propagé grâce à la puissance épistémologique de l’Occident finit par jouer contre sa signification initiale. Pour que la conversation soit féconde, chaque femme doit faire confiance à sa capacité à formuler ses propres concepts.
De la même manière, si Léonora Miano devait donner des conseils à un jeune écrivain, ce serait de ne surtout écouter personne et en particulier pas elle. L’indocilité doit prévaloir. Il faut trouver sa voix, ne pas essayer d’être Shakespeare ou Faulkner, mais écrire comme on fait ses gammes jusqu’à trouver sa propre voix. La discussion se clôt sur la question du vêtement que Léonora Miano considère comme un langage à part entière. En Afrique, les textiles sont eux-mêmes signifiants, qu’il s’agisse des motifs ou de la manière dont les fils sont tissés. Autant de messages adressés au groupe auquel on appartient. La rencontre coloniale a conduit à une modification de ces codes. Les femmes doualas ont par exemple dû porter des robes d’inspiration victorienne pour cacher leur peau alors considérée comme obscène.
Le projet de Léonora Miano pour le futur ? Comprendre comment se réinventer sans nier les apports occidentaux et se frayer son propre chemin. Éloge de l’émancipation et de la liberté, toujours en devenir.
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