Je suis le fils de deux mères : maman Eralda et maman Giuliana. Deux femmes extraordinaires, deux jumelles, qui ont fait de cette situation le sceau ultime de leur existence. Elles vivaient dans le même corps. Elles s’habillaient et se coiffaient de la même manière. Elles étaient, comme par magie, le reflet l’une de l’autre. Chacune multipliant l’autre. C’était mon univers, parfaitement double et doublé.
Je me souviens d’elles, souriantes, assises à un café. Quand elles étaient ensemble, elles se sentaient chez elles. Elles partageaient le même patrimoine génétique, mais pas seulement. Elles partageaient une intimité secrète à laquelle personne d’autre n’avait accès : une alliance ancestrale, inconsciente, puisqu’elle était née à une époque bien antérieure.
À l’école, mon professeur me regardait avec un air inquiet quand je disais que j’avais deux mères. Pour moi, au contraire, c’était tout à fait normal. C’était l’étrange famille que j’avais toujours connue. Je ne connaissais d’ailleurs rien d’autre. À vrai dire, peu importe qui m’avait donné naissance. Elles étaient toutes deux des déités génératrices dans mon Olympe.
La grâce de leur amour dupliqué et élargi donna naissance à ma fascination éternelle pour la notion de double, pour toutes ces choses qui semblent se refléter à l’identique. Je saisis chaque fois une aura de beauté dans ces multiplications spéculaires. Cela semble si familier, si puissant. Un miracle frémissant réfutant l’impossible.
C’est précisément l’impossibilité du parfaitement identique qui nourrit la magie des jumeaux. Une formule magique génomique destinée à créer des créatures exactement identiques, alors qu’elles vivent en réalité dans des divergences et des désalignements impalpables. C’est la supercherie de la similitude. Le jeu d’illusion d’une symétrie fissurée.
Twinsburg joue à ce jeu en générant une tension dans la relation entre l’original et la copie. Comme si par magie les vêtements se dupliquaient. Ils sembleraient alors perdre toute leur singularité. L’effet créé est aliénant et ambigu. C’est presque une faille dans l’idée d’identité. Puis, vient la révélation : les mêmes vêtements dégagent différentes qualités sur des corps apparemment identiques. La mode, après tout, se fonde sur des multiplications en série qui n’entravent pas pour autant l’expression authentique de toutes les individualités possibles.
Par nature, les jumeaux vivent dans cet oxymore perturbant et nous enjoignent à comprendre que ce que nous voyons n’est pas toujours ce que nous pensons. Face à un double, nous sommes forcés de trouver et de nommer les différences avec plus de soin, même les plus fines. Mes mamans, apparemment identiques, étaient en réalité des extensions réfléchies et complémentaires. L’une intégrant la forme de l’autre. Elles ne se confondaient pas.
Ce sont ces réciprocités asymétriques qui sont au fondement du concept le plus profond de jumeau. C’est la relation spéculaire entre l’identité et l’altérité : la présence simultanée de différents sujets en connexion. En réalité, tous les jumeaux, dès la naissance, sont bien conscients de ne pas être au centre de l’univers. Ils ont l’habitude de vivre avec un autre « moi ». Les frontières de leur corps ne correspondent pas aux frontières de leur être.
En ce sens, avoir un jumeau est une expérience de décentralisation. C’est se pencher vers l’autre. Voir en soi la chair du monde. C’est un topos qui transcende la biologie, qui nous dévoile le sentiment de coappartenance et de sororité qui devrait guider notre passage sur cette planète. C’est la possibilité de sentir que l’on fait partie d’un tissu conjonctif qui définit notre destin commun en tant que création.
À mes mères jumelles, qui n’étaient capables de comprendre la vie qu’à travers la présence de l’autre.
Alessandro